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Chronique d’Elisabeth Vonarburg dans Solaris.

La feuille de route de Philippe Caza est bien remplie. Un des principaux acteurs de l’explosion de la BD française dans les années 70 (il a été de toutes les grandes aventures, Pilote, Métal Hurlant…), il nous a accompagnés et nous accompagne encore avec les couvertures ou les illustrations intérieures des livres qui ornent nos bibliothèques bien genrées (OPTA, J’Ai Lu) et avec les siennes surtout : une bonne trentaine de bandes dessinées, en noir et en couleurs ! Sans compter sa collaboration à des films d’animation qui continuent de bercer les générations (deux courts métrages et deux longs, dont l’immortel Gandahar de René Laloux). Pour que le tour d’horizon soit complet, non content de dessiner ses histoires, il en raconte aussi parfois (presque) sans images, des textes qu’il a rassemblés dans ce joli livre illustré qu’il faut malheureusement commander chez l’éditeur français, bon, mais on n’allait pas ne pas en parler pour un motif aussi mineur. C’est Caza. Et le détour en vaut la chandelle. En effet, par ces temps de post-apo glauques et dystopiques, Caza nous propose… le sous-titre de son bouquin. Car enfin, si l’on parle d’utopies aujourd’hui, il faut qu’elles soient ambigües, ou modestes, sinon, ça dérape trop vite – dans le glauque et le dystopique, justement. Ce roman dit “fix-up”, c’est à dire constitué de nouvelles qui s’entrecroisent et se répondent dans un cadre commun et avec des personnages récurrents qui passent sans douleur de l’avant à l’arrière-plan selon les histoires, est présenté comme se voulant “un remède à l’éco-anxiété”. Et, ma foi, pari tenu. Après “la Grande Bistouille”, i.e. le fameux Effondrement, sur une future Terre dépeuplée et qui ne s’en porte que mieux, il y a des petits villages assez autarciques, qui se débrouillent, où on est ensemble et contents de l’être. Comme Ginkoo Bilooba, où la principale narratrice, Valentina, alerte demoiselle mélanisée aux petits seins pointus (on se promène pas mal à poil, fait chaud, bananiers, hippopotames et crocodiles décorent le paysage tropical de la Merhône) est journaliste à L’Ékoo de Ginkoo – on a décidé de mettre deux O partout parce que ça fait plus exotique. On la suit ici ou là dans ses déambulations, voyages et autres pérégrinations, parfois très émouvantes (le chapitre “Muse”, où Valentina se rend dans un reste de ville où il y a un reste de musée et un vieux peintre qui fera son portrait). Il y a un autre JE narrateur d’autres séquences, (il se dotera du nom de “Conrad Boulanger”, parce qu’il fera du pain), un voyageur temporel malgré lui de type Rip Van Winkle, processus pas vraiment expliqué et on s’en fout, car JE nous vaut des beaux passages poético-psychédéliques – Caza écrit souvent comme il dessine. CB, comme l’appelle Valentina, a connu la vie d’Avant et sert de contrepoint pour nous faire évaluer la distance parcourue. Mais, entre lui et les Grand-Grand-Papet & Grand-Papet de Valentina, on a plusieurs (au moins trois) explications différentes des causes de la Grande Bistouille – c’est loin et les souvenirs divergent, peut-être ? Et surtout, comme nous le savons, il n’y aura pas une seule cause… Je ne les dévoile pas pour vous laisser le plaisir plus ou moins hilare de la découverte. Car on rit et sourit souvent à travers ces histoires, ne serait-ce que grâce à la fantaisie et à l’inventivité verbale de Caza : ça feux d’artifices dans tous les azimuts – sans compter les innombrables clins d’œil littéraires, qui ne nuisent en rien au déroulé de la lecture mais ajoutent au millefeuilles des couches savoureuses. Ça n’empêche pas la réflexion : pas de naïveté ni d’illusions ici – plusieurs de ces textes, déjà publiés, répondaient à des commandes sur des thèmes pointus dans divers collectifs ou revues. Mais si on veut des messages, on n’a qu’à se doter d’un courriel, ou d’un sémaphore lumineux (pour rester dans le décor du roman), Caza n’est pas là pour ça. Ce qu’il a à dire passe par la fiction, par les personnages – une galerie souvent désopilante, (Blaise Pascal, inventeur de la brouette), ou plus grave (Casper le Fantôme, un autiste, petit génie de la mémoire qui se rappelle tout ce qu’il voit et va devenir bibliothèque ambulante ; oui, on pense souvent à Bradbury, entre autres, au fil de la lecture).

Bref, c’est solar, c’est hope, c’est punk, c’est psychédélique en prime, et y a quelques belles zimages : ça vaut vraiment la peine d’attendre le facteur, ou enfin, d’aller à sa boîte postale tous les jours pour récupérer le paquet.

Élisabeth Vonarburg, in revue Solaris # 225, hiver 2023

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